Date de publication :
Jeudi 19 novembre 2015
**********
Les dernières heures ont été riches en sorties publiques de la part des instances syndicales et des représentants du gouvernement. Une nouvelle contre-offre du Front commun assortie d’une suspension de la grève s’il y a des avancées significatives aux tables. Un rejet quasi instantané de la proposition syndicale sur la place publique par le ministre Coiteux qui revient avec ses allusions de loi spéciale. En coulisse, on apprend pourtant que des rencontres de négociations ont eu lieu hier et se poursuivront jusqu’à l’arrivée du weekend. Dans le langage militaire, on emploie l’expression « brouillard de la guerre » pour décrire la situation dans laquelle nous nous retrouvons actuellement.
« La grande incertitude [liée au manque] d'informations en période de guerre
est d'une difficulté particulière parce que toutes les actions doivent
dans une certaine mesure être planifiée avec une légère zone d'ombre qui (…)
comme l'effet d'un brouillard ou d'un clair de lune, donne aux choses
des dimensions exagérées ou non naturelles »
— Carl von Clausewitz, De la guerre
Le texte qui suit se veut une tentative de voir un plus clair, faute de pouvoir dissiper totalement le brouillard. L’exécutif veut également répondre franchement aux questions tout à fait légitimes que des membres du SPECS-CSN nous ont fait parvenir. Il va sans dire que la situation évolue de minute en minute et que nous n’avons pas toutes les informations en main. Nous n’avons pas les réponses à toutes les questions et ce qui est vrai maintenant pourrait bien ne plus l’être demain.
Suite à l’offre révisée faite par le gouvernement du Québec, offre bien en deçà des demandes minimales faites par le Front commun et donc immédiatement rejetée par celui-ci, il a été convenu par le comité de stratégie du Front commun de déposer une contre-proposition dans l’objectif de remettre les négociations sur les rails. La contre-proposition devait nécessairement respecter les mandats que les syndicats locaux ont donnés aux négociateurs de la partie patronale. Entre autres exigences, les travailleurs des services publics demandent un rattrapage salarial afin de stopper leur appauvrissement et le maintien des modalités actuelles du régime de retraite. C’est sur ces bases que le Front commun a fait la contre-proposition suivante:
1- Demande salariale
Une demande de 2,5 % par année, avec rajustement si l’inflation dépasse 1 %. À l’heure actuelle, en fonction des données confirmées par Statistique Canada – une inflation de 1,4 % et une croissance du PIB de 1,5 % – nous pouvons affirmer que pour l’année 2015 la majoration serait de 2,9 %.
2- Retraite
Aucune raison ne justifie la modification des paramètres d’accès à la retraite. La partie syndicale demande le maintien à 60 ans de l’âge d’accès à la retraite sans pénalité. Elle est ouverte à ce que les travailleurs puissent cotiser pendant 40 ans.
3- Relativités et structures salariales
La partie syndicale demande au gouvernement du Québec de respecter ses engagements concernant le processus de relativité salariale qui ne doivent pas être un enjeu de négociation. De plus, le processus de modification des structures salariales ne doit pas faire en sorte que des travailleurs s’appauvrissent.
Le ministre Coiteux a immédiatement rejeté la contre-proposition syndicale affirmant qu’elle était incompatible avec les paramètres financiers de l’État. Nous savons pourtant que les négociations se sont poursuivies après le rejet public fait par Coiteux. Il faut croire que les négociations impliquent toujours une part de cinéma et de manipulation pour le gouvernement.
[Plus de détails : Info-négo du Front commun, 18 novembre 2015]
Le « report » des journées de grève
Dans la contre-proposition syndicale, on peut lire ce qui suit :
« Le Front commun fera l’annonce aujourd’hui qu’il reporte les trois journées de grève nationale prévues les 1er, 2 et 3 décembre, et ce, afin de laisser tout l’espace possible afin de faire avancer la négociation. (…) Le Front commun n’envisage pas d’annuler des journées de grève, ni de suspendre son mouvement. En signifiant au gouvernement que nous sommes prêts à exercer plus tard certaines journées initialement prévues, nous lui envoyons un message clair : si aucune avancée significative n’est constatée aux tables de négociation au cours des prochaines heures, le mouvement de grève pourrait reprendre dès la semaine suivante. »
Le Front commun ouvre donc la porte au « report » des journées grève afin de laisser un espace à la négociation. Faute de progrès réel, les travailleurs auront le loisir de faire la grève au moment jugé opportun, car le mandat de grève demeure en vigueur.
Cette décision stratégique a soulevé plusieurs questions légitimes chez les membres du SPECS-CSN. Pourquoi un report maintenant alors que la mobilisation est à son comble ? Le Front commun a-t-il la légitimité de modifier le calendrier de grève de la sorte ? N’est-ce pas nécessaire de consulter les syndicats locaux avant de modifier le calendrier de grève ?
Répondons d’abord aux questions portant sur le respect des instances et du mandat. Les membres du SPECS-CSN ont adopté la recommandation suivante le 9 septembre 2015 :
« Je mandate le Syndicat du personnel enseignant du Cégep de Sherbrooke - CSN à déclencher une grève légale de 6 jours à exercer en Front commun sur une base rotative et régionale ou nationale, et ce, en tenant compte de la conjoncture de la négociation. Je mandate le syndicat du personnel enseignant du Cégep de Sherbrooke - CSN à actualiser ledit mandat avant la fin de l'exercice de ces journées de grève. »
Le mandat que nous avons adopté requiert (i) que la grève soit exercée en Front commun, (ii) qu’elle soit au plus de 6 jours et (iii) que les modalités de la grève soient déterminées en tenant compte de la conjoncture de la négociation.
La recommandation ne stipule pas les dates des journées de grève et permet une réorganisation en fonction de la conjoncture. Le comité stratégique du Front commun a jugé que l’offre d’un « report » pourrait aider à relancer les négociations avec le gouvernement. Selon certaines sources, le « report » permettait également d’assurer la cohésion du Front commun. Étant donné que le mandat accordé par le SPECS-CSN spécifie que la grève doit être en Front commun, une décision dont l’objectif est de protéger le Front commun est conséquente de la part de nos représentants. À la lumière de cette analyse, un retour dans les assemblées générales locales n’était pas nécessaire, car les négociateurs travaillent toujours à l’intérieur de leur mandat. Certains auraient souhaité un retour dans les assemblées malgré tout, ce qui est une position tout à fait défendable. Il faut garder en tête qu’une consultation des syndicats locaux du Front commun requiert environ 3 semaines avant d’être complétée. Il y a également un coût stratégique —l’arrivée rapide de la période des Fêtes— à cette voie.
Il faut donc exclure l’analyse selon laquelle il y a eu un vice de procédure ou un non-respect des prérogatives des instances locales lorsque le Front commun a proposé un « report » conditionnel à des avancées aux tables de négociation. Toutefois, ce n’est pas notre intention d’affirmer que des personnes raisonnables ne peuvent pas être en désaccord avec la stratégie adoptée par le Front commun. Des personnes raisonnables peuvent légitimement questionner la pertinence de demeurer dans un Front commun dont la survie demande d’offrir un « report » au gouvernement. Il en est de même sur les effets potentiellement négatifs d’un possible « report » sur la mobilisation et notre rapport de force. Tous reconnaitront cependant qu’il n’y a aucune stratégie sans risque. Le gouvernement a toujours la carte de la loi spéciale dans sa manche et qui sait s’il n’attendait que les 1, 2 et 3 pour l’utiliser. Un report des journées de grève forcera peut-être le ministre à devoir retarder le recours à cette option, ce qui ouvre un espace pour la négociation.
Ici, il vaut mieux cesser les conjectures, car nous entrons en plein « brouillard de la guerre ». Les prochaines heures seront sans doute riches en rebondissements et il sera nécessaire de repenser nos analyses stratégiques.
Les 1, 2 et 3 décembre : « Sommes-nous en grève ? »
Une grève légale doit être annoncée par un avis transmis à nos patrons au moins 7 jours ouvrables avant son déclenchement. Nous sommes maintenant hors délai pour un débrayage les 1, 2 et 3 décembre prochain. Tel que mentionné plus haut, le Front commun n'annule pas et ne suspend pas son mandat de grève. Lorsque de nouvelles dates de grève seront déterminées, le cas échéant, vous serez informés dans les plus brefs délais.
Position de principe concernant la légitimité de recourir à la désobéissance civile
Lors de la dernière assemblée du SPECS-CSN, la proposition suivante fut adoptée :
« Dans l’éventualité où le gouvernement du Québec adopte une loi spéciale qui empêche le recours à la grève par les membres des syndicats du secteur public brimant ainsi le droit d’association et le droit à la libre expression, droits explicitement reconnus dans la Charte canadienne des droits et libertés, les membres du SPECS-CSN affirment que la poursuite de la grève peut constituer un geste de désobéissance civile légitime. Dans le contexte, la désobéissance civile signifie le refus éclairé, assumé et public de respecter une loi parce quelle est jugée contraire à des principes éthiques fondamentaux ou au bien commun.
Le SPECS-CSN lance un appel à tous les syndicats du secteur public pour qu’ils se dotent d’une résolution similaire. »
Or, on apprend que plusieurs cégeps ont adopté cette proposition au cours des derniers jours. C’est le cas des cégeps de St-Jérome, du Vieux-Montréal, Marie-Victorin, Ahuntsic et John Abbott. Le cégep Édouard-Montpetit appelle les syndicats à se doter d’un mandat de grève générale illimitée en cas d’imposition d’un loi spéciale. Ce matin, le conseil fédéral de la FNEEQ a également entériné la recommandation émanant du SPECS-CSN.
Le dimanche 22 novembre, une rencontre importante des syndicats des services publics aura lieu à Québec. Ce sera l’occasion d’appeler d’autres syndicats à se joindre à nous.
Le comité exécutif veut souligner la mobilisation extraordinaire des membres du SPECS-CSN dans les dernières semaines. Nous devons tous être fiers de ce que nous avons accompli jusqu’à maintenant. Soyez assurés que l’exécutif fera tout ce qui est en son pouvoir pour que la volonté clairement exprimée des membres du SPECS-CSN d’obtenir un contrat de travail de qualité soit entendue !
Nous avons le regret d'annoncer le décès de Martin Riou, ex-enseignant de Mathématiques et ex-président du SPECS-CSN. Son décès est survenu le lundi 16 novembre, à l’unité de soins palliatifs de Magog. Le service funèbre sera organisé par la Coopérative funéraire de l’Estrie. La rubrique nécrologique est accessible au lien suivant. Jeudi dernier, 12 novembre, Martin Riou envoyait le courriel suivant à Steve McKay et Catherine Ladouceur : « C’est une journée importante pour vous et pour tout le mouvement syndical aujourd’hui. Un moment critique et un moment d’action. Je ne peux être avec vous même si j’aurais tellement voulu y être. Ma santé ne me le permet pas, mais je suis quand même là avec vous. J’étais de la première cohorte d’étudiants à Rimouski en 1967. Puis, il y a eu les manifestations étudiantes de ’68. On est entrés dans le rang après quelques mois de manifestations. Quelques années plus tard, les effets de ce mouvement se sont fait sentir; grève des frais de scolarité, lien avec les organisations syndicales. Du côté des professeurs, en ’70, le Front commun, 100$ minimum, et, en ’76, une convention collective acceptable. Le CEGEP avait pris son envol avec tous ses avantages :
Couillard et son équipe veulent débâtir l’éducation. Ne les laissez pas faire. SOLIDARITÉ! MARTIN RIOU, militant syndical. » |
![]() |
Poste téléphonique #5330 info@specs-csn.qc.ca Responsable de la rédaction : Catherine Ladouceur Secrétariat : Luc Loignon |