par Philippe Langlois
professeur de philosophie
au Cégep de Sherbrooke
Le système d’éducation est pris en otage. Partout au Québec, on essaie de dresser les étudiants contre les contribuables, les administrations contre les grévistes, les professeurs contre les piqueteurs, le droit contre la démocratie. En réalité, c’est tout le système d’éducation et ses acteurs qui sont en train de se souder sous des injonctions qui se révèlent inapplicables et un gouvernement ayant laissé pourrir un conflit social sur le dos de la scolarisation des jeunes Québécoises et Québécois.
Ce gouvernement aura tout fait, depuis les premiers jours du conflit, pour briser le consensus qui prévaut au Québec voulant que les étudiants puissent légitimement se mettre en grève. La société québécoise reconnaît ce droit depuis longtemps. Ainsi, les étudiants prononcent des grèves, les directions lèvent les cours en conséquence et rééchelonnent les calendriers scolaires, et les gouvernements négocient pour que reprennent les cours ; le tout, depuis des décennies au Québec, avec pour résultat des acquis démocratiques importants.
Partout où des injonctions sont tombées récemment, elles se sont révélées inapplicables. Le Cégep de Sherbrooke subit à son tour cette situation. La raison en est simple. Le coût humain et matériel qu’entraînerait le recours à la force policière pour appliquer l’injonction de la Cour supérieure est inadmissible. Nous sommes rassurés et admiratifs devant le courage dont fait preuve notre administration actuellement : elle n’a pas assez de sang dans les yeux pour envoyer des policiers tabasser cinq cent étudiants aux portes de son établissement, alors même que ce piquetage est le résultat d’un vote de grève. En plus de mettre en péril l’intégrité physique de tout le monde, le contexte qui en résulterait serait tout sauf propice aux études. On n’enseigne, on n’étudie pas sous escorte policière.
Nous sommes inquiets, désespérés de nous lever chaque matin en nous demandant si nos étudiants devront aujourd’hui se faire arrêter, matraquer et emprisonner pour être socialement reconnus. La situation actuelle met tout le monde dans une position intenable. Les administrations : entre l’obéissance à la loi et l’impératif de la sécurité de leurs employéEs et leurs étudiantEs. Les enseignantEs et autres employéEs : entre l’obligation de faire leur travail – sous menace d’outrage au tribunal – et celle de protéger leur sécurité personnelle. Les étudiants : entre la loi, qui leur ordonne de ne pas piqueter, et la démocratie, qui leur ordonne de piqueter.
En forçant la fermeture du Cégep, les étudiantEs sauvent chaque matin, à l’arraché, le climat de travail et la conscience de tout le monde. Ils soudent notre communauté malgré toutes les forces qui s’acharnent à la diviser. Ils font tout cela en mettant leur tête à prix, se rendant passibles d’outrage au tribunal. Égoïstes, gâtés et individualistes nos étudiants ? Assez de cette grotesque propagande !
Et dans ce contexte anormal, on voudrait qu’on tienne les cours de « façon normale ». Aussi bien nous ordonner de mentir à la face du monde ! La vérité, la voici : tout un système d’éducation et huit millions de citoyenNEs sont actuellement pris en otage pour des raisons électoralistes.
À l’aide citoyens ! À l’aide !