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Chroniques école et société

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[Source : FNEEQ]

Les chroniques école et société comprennent différents articles sur un sujet d'actualité en éducation.

Ces chroniques sont d'abord destinées aux  syndicats qui sont invités à les reproduire dans les journaux locaux. Pour connaître les membres et le mandat du comité, on peut consulter la présentation du comité.


Chronique 61 (octobre 2014)
Des précaires de l'enseignement supérieur en lutte

L’éducation est en crise. La situation du personnel contractuel, à tous les ordres d’enseignement, est l’un des principaux symptômes de cette crise. Cette situation reflète une tendance marquante de l’emploi depuis une quarantaine d’années, à savoir la croissance de l’atypie et bien souvent, de la précarité. Du côté de l’enseignement, la croissance de la contractualisation et du temps partiel témoigne du détournement des fonds en principe dédiés à l’enseignement, ainsi que de la managérialisation et de la mise en concurrence des établissements.

Aux États-Unis, assez régulièrement, des reportages mettent en évidence la situation des adjuncts1. Incessamment baladés de classe en classe, étant donné la quantité de charges qu’ils doivent contracter pour joindre les deux bouts, certains en viennent à dormir dans leur voiture. Un Mexicain, pris dans la même situation, proposait justement lors d’un des ateliers de la rencontre de la Coalition du personnel précaire en enseignement supérieur (COCAL) tenue en aout dernier à New York, que les précaires de l’enseignement supérieur bénéficient d’appartements capsules disséminés dans la mégalopole de Mexico afin de pouvoir au moins se reposer entre deux cours ! Au Canada, CBC, The Globe and Mail ou Affaires universitaires révèlent enfin au public les conditions d’emploi et de travail des enseignantes et enseignants atypiques dans les universités. À quand un tel portrait au Québec ?

Parallèlement, ces personnes se mettent en lutte. Aux États-Unis, une récente campagne de sensibilisation, visant entre autres certains politiciens, a comme objectif de hausser à 5000 dollars américains le taux de la charge de cours, lequel se situe en moyenne autour de 2800 dollars. Comment cela est-il possible aux États-Unis, ce bastion d’universités de « renommée internationale » ? Dans le réseau de l’enseignement supérieur états-unien, plus de 75 % des cours de niveau collégial et du 1er cycle universitaire (undergrade) sont donnés par des contractuels. À moins de 3000 dollars la charge en moyenne, on comprend quelle économie le système réalise de cette manière. La situation n’est pas nouvelle mais, dans un contexte baigné par l’idéologie des politiques d’austérité, ces enseignantes et enseignants qui se mettent en lutte annoncent qu’ils ne feront plus les frais de la dévalorisation de l’enseignement au profit de la recherche, de l’enflure gestionnaire ou de l’esbroufe marchande.

Toujours aux États-Unis, l’organisation New Faculty Majority2 (NFM) propose un renversement des paradigmes au sein des institutions d’enseignement supérieur où les contractuels (chargés de cours, tuteurs, superviseurs, étudiants salariés, etc.) forment la « nouvelle majorité ». En effet, NFM cherche à réunir ces dizaines de milliers de travailleurs précaires autour d’enjeux d’équité (salariale, sécurité d’emploi, liberté académique, etc.3) mais aussi à leur faire prendre conscience que c’est bel et bien sur leurs épaules que repose l’enseignement supérieur américain et qu’ils bénéficient ainsi d’un réel rapport de force. Ils doivent le revendiquer, l’exercer et investir tous les lieux de prise de décisions institutionnelles. Une première journée nationale de grève des contractuels de l’enseignement supérieur est d’ailleurs appelée le 25 février 2015. Dans la foulée, au Canada et aux États-Unis, une semaine de l’équité se tient tous les deux ans sur les campus et les occasions de mettre de l’avant la réalité des précaires de l’enseignement supérieur essaiment d’un océan à l’autre. Enfin, la FNEEQ tient, le 22 novembre de chaque année, une Journée nationale des chargées et chargés de cours depuis 14 ans4.

En France, la situation n’est guère plus reluisante. Dans le pire des cas, certaines personnes acceptent de ne toucher aucun revenu pour continuer d’enseigner. Là aussi, depuis 2009, les 50 000 précaires de l’enseignement supérieur appellent à la mobilisation et exigent une réaction de leur gouvernement.

Ce ne sont là que quelques exemples qui rappellent l’ampleur du phénomène de la contractualisation. Du sud de l’Amérique jusqu’au Japon, avec une pointe dans les milieux anglo-saxons, partout, de 20 à 80 % des cours de 1er cycle en enseignement supérieur sont offerts par des précaires ou des contractuels. Sans sécurité d’emploi, ces derniers se sentent faiblement intégrés dans la vie académique et les prises de décision malgré leur nombre, leur professionnalisme et leur passion.

En regard de cet état de fait, la situation vécue au Québec parait avantageuse du moins dans les universités. Syndiqués, dans certains cas depuis plus de 40 ans, regroupés afin que les gains des uns profitent aux autres (c’est ce qu’a mis en place le Regroupement université de la FNEEQ) et mieux intégrés dans leurs institutions respectives, ces contractuels ont assurément amélioré leurs conditions de travail et de vie. Mais qu’en est-il de leurs conditions d’emploi ? La très vaste majorité reste dépendante d’attributions de trimestre en trimestre. De plus, en termes de masse salariale globale, ils ne coutent toujours qu’environ 8 % du budget de fonctionnement des universités (soit l’équivalent du cout de l’administration) en dépit du fait qu’ils offrent entre 50 et 60 % des cours au premier cycle.

Le réseau collégial quant à lui, est composé de près de 55 % d’enseignantes et d’enseignants non-permanents et de personnes chargées de cours. À l’enseignement régulier, les enseignants non-permanents sont rémunérés en pourcentage de la charge occupée mais avec des conditions de travail moins avantageuses. Le secteur de la formation continue lui, est presque exclusivement composé d’enseignantes et d’enseignants chargés de cours et rémunérés à la leçon. Le nombre d’heures pour atteindre une pleine charge ne se calcule pas de la même manière que pour ceux qui enseignent à l’enseignement régulier. Comme aux États-Unis, les heures de préparation de cours et d’encadrement des étudiantes et étudiants ne sont pas rémunérées.

Pour faire face à ces défis, la FNEEQ organise un important Forum sur les enseignantes et les enseignants universitaires contractuels5, lequel se tiendra du 20 au 22 novembre 2014 à Montréal. Le Forum se termine avec la Journée nationale des chargées et chargés de cours.

Le Forum sera l’occasion d’échanges et de partage des prospectives avec des étudiantes et étudiants, des professeures et professeurs, des associations facultaires et syndicales du Québec et du Canada et l’ensemble de la communauté universitaire. Les acquis de nos camarades professeures et professeurs subissent des attaques inédites et répétées. Les étudiantes et étudiants gradués sont appelés à travailler de plus en plus au sein des universités, sans que l’on ne se questionne vraiment sur les impacts du nombre d’heures travaillées sur la diplomation, ni sur la « cure minceur » radicale des bourses aux études, ni sur leurs conditions de travail. Une solidarité de tous les groupes est essentielle, voire incontournable. Au-delà de nos divers statuts d’emploi, ou de visions corporatistes, ce qui est menacé, c’est le droit à une éducation libre, gratuite et démocratique. Bref, c’est l’institution universitaire qui est en danger !

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  1. Aux États-Unis, « adjunct » est un statut d’enseignant comparable à celui d’une personne chargée de cours au Québec.
  2. Voir le site web : http://www.newfacultymajority.info.
  3. Voir http://www.newfacultymajority.info/nfms-7-goals/.
  4. Voir www.chargesdecours.com.
  5. Pour consulter le programme et vous inscrire : http://www.fneeq.qc.ca/fr/accueil/Evenement/.
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